lundi 28 mai 2012

Réaction au dossier du Vif du 25 mai "Wallons-Flamands, couple raté".

Voici le texte complet de la réaction que j'ai envoyée à la rédaction du Vif suite à leur dossier du 25 mai dernier: "Wallons-Flamands, couple raté".

Pourquoi annoncer à tout prix la fin de la Belgique ?

A la lecture du dossier du Vif de la semaine dernière « Wallons - Flamands, le couple raté » et de l’éditorial de Christine Laurent « Divorce à la Belge », je me suis demandé si je lisais une publication électorale nationaliste flamande ou si j’avais entre les mains un des hebdomadaires francophones les plus sérieux du pays. Ce n’est pas tant le corps de ce dossier historico-psychologique qui était choquant, mais bien les conclusions tirées, tout à fait malhonnêtes intellectuellement.

Au niveau historique, même si des variations existent d’un expert à l’autre, les faits et les symboles sont connus : l’élite au pouvoir dès la naissance de la Belgique était francophone et a contrôlé l’Etat jusqu’à la moitié du 20e siècle, les soldats flamands envoyés au front en 1914 ne comprenaient pas la langue de Voltaire, la collaboration a été traitée différemment au sortir de la 2e guerre mondiale de part et d’autre de la frontière linguistique, le « walen buiten » a provoqué une fracture irréversible, le nationalisme politique flamand enchaîne les victoires électorales depuis les années’70, etc... Cette partie descriptive du dossier est d’autant plus inattaquable qu’elle se base sur un ouvrage de qualité écrit par des historiens et des psychologues de renom : « Belgique-België : Un Etat, deux mémoires collectives ? » (éditions Mardaga). La raison commence à perdre pied lorsque les journalistes en concluent que « le ver était dans le fruit dès l'origine », que le « divorce est annoncé » ou que « depuis toujours, Flamands et Wallons évoluent mentalement chacun de leur côté ». C'est non seulement très simpliste, mais cela casse surtout le travail tout en nuance et en équilibre de l’ouvrage précité. Le clou de ces raccourcis journalistiques se trouve sans doute en page 26 lorsque Pierre Havaux souhaite démontrer l'échec de l'Etat belge en concluant par: « Aujourd'hui, devant la télé, le Flamand savoure The Voice Vlaanderen. Le francophone s'éclate devant The Voice Belgique. » On croit rêver... Le degré de probabilité de scission du pays est jugé à l’aune des programmes de téléréalité regardés. Le plus paradoxal est que le chef du jury de la version flamande était Koen Wauters (membre du groupe Clouseau et auteur de la chanson Leve België), ennemi juré des séparatistes et que la finaliste de la version francophone était flamande… Un imbroglio bien belge donc mais, soit, passons.

Il n’est cependant pas question ici de faire de la méthode Coué belgicaine de base. Oui, les Flamands et les francophones (et les Germanophones d'ailleurs) sont différents, ne regardent pas la même télévision, n'écoutent pas les mêmes chanteurs, ont des lectures propres de certains événements historiques (souvent très symboliques) et votent de manière sensiblement distincte. Est-ce pour autant qu'il faut en conclure que ce pays est fini? Que ses 10 millions d'habitants n'ont plus aucun avenir ensemble? Que nous sommes tous et toutes contraints à l'appauvrissement (financier comme culturel) généralisé? Cette propension à la sinistrose, volontaire ou pas, devient tout à fait insupportable. Pourquoi ne pas mettre en avant que la Belgique est un des pays européens qui a le mieux résisté à la crise économique, avec un taux chômage, certes trop élevé, mais inférieur à la moyenne de la zone Euro ou avec un déficit public inférieur à 3% et conforme aux critères de Maastricht ? Cerise sur le gâteau, notre pays excelle au classement de l’indice du « Vivre mieux » de l’OCDE, loin devant la France, l’Italie ou le Japon. Et pourtant, pas un seul cocorico à l’horizon.

Le plus irritant, dans le dossier incriminé, est que les articles et l’éditorial concluant à la fin inéluctable du pays ne mentionnent pas une seule fois les concepts clés constituant aujourd’hui une plus-value pour nos concitoyens : solidarité, dynamisme économique et multiculturalité.

La solidarité entre des personnes de génération, de condition, d’origine ou de langue différente est le ciment de toute société. Casser le modèle belge signifie mettre fin à ce lien interpersonnel indispensable qui a déjà tant de mal à s’exprimer au niveau européen. Si Wallons, Flamands et Bruxellois ne sont pas capables de partager le même filet social, oublions immédiatement tout mécanisme qui permettrait de venir en aide aux populations grecques, espagnoles ou portugaises.

Concernant le dynamisme économique, de nombreuses publications ont démontré par le passé que les entreprises n’avaient rien à gagner d’une séparation : instabilité juridique, augmentation des tracas administratifs ou risque de concurrence fiscale entre les nouveaux Etats. Sans parler de la dégradation du climat de confiance entre francophones et Flamands qui seront obligés de rester voisins et donc partenaires commerciaux. Enfin, parler des langues distinctes au sein d’un même pays engendre, il est vrai, des complications et des malentendus. Mais une telle multiculturalité n’est-elle pas avant tout une richesse ? Que ce soit en termes d’ouverture d’esprit, de mélange ou de compétitivité sur le marché du travail. Sur ces trois thèmes fondamentaux, pas un mot… Un silence qui en dit long.
Je ne sais pas pourquoi Le Vif a décrété un tel crédo basé sur une analyse aussi partielle de notre passé et de notre contexte communautaire. Quel intérêt y a-t-il à annoncer à tout prix la fin de la Belgique ? Y aurait-il une intention de faire passer un message politique envers la population francophone? Je n'en ai aucune idée mais j’aimerais comprendre. Je souhaiterais également demander à la rédaction de réaliser leur prochain dossier, par soucis d’équité idéologique, sur « Les pistes pour améliorer le modèle belge ». Dans ce monde autour de nous, où des pays se déchirent, sont au bord de la faillite, et flirtent avec l’extrême droite populiste, l’exemple belge témoigne en effet d’un espoir pour l’avenir, celui de faire cohabiter, au cœur de l’Europe, des communautés différentes, mais néanmoins attachées à une même conception de la chose publique. Cela représente un défi de taille qui sera toujours soumis à des tensions, des réformes et des remises en question. C’est le prix à payer pour qu’il continue à procurer du bien-être à ses 10 millions d’habitants, comme il le fait depuis 182 ans.



1 commentaire:

  1. Vraiment un amusement la lecture de votre article, le sujet est intéressant et les descriptions passent facilement..il s'agit d'un article à garder et à suggèrer aux autres !! merci pour l'article.

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