vendredi 13 janvier 2012

2012 : printemps démocratique belge ?

L’année qui s’ouvre promet d’être extrêmement riche en débats politiques et en combats électoraux. En effet, deux pays sur lesquels nos regards médiatiques sont régulièrement posés éliront cette année leur nouveau président et leur nouvelle assemblée législative (dans son entièreté ou en partie): nos voisins français en mai et juin prochains et nos amis américains en novembre. Entre ces deux grands moments d’actualité internationale, les élections communales belges se tiendront en octobre avec, à la clé, des résultats qui ont auront certainement une influence sur la politique fédérale. Parallèlement à ces processus classiques, les transitions démocratiques issues des révolutions du printemps arabe devraient continuer à se mettre en place, à des degrés divers en fonction des pays, et donner lieu à des joutes politiques intéressantes entre partis laïques, islamistes modérés ou plus conservateurs. Bref, en un mot comme en cent, les douze mois à venir seront marqués par les affrontements idéologiques et les propositions en tout genre visant à sortir des crises économique, sociale et financière dans lesquelles nous sommes empêtrés. Il suffit de revenir un instant sur les exemples français et américain pour se rendre compte à quel point les divergences de vue et de personnalités sont profondes. Que ce soit entre Nicolas Sarkozy et François Hollande ou entre Barack Obama et son opposant républicain (qui sera désigné par les primaires en cours), les points de vue sont tranchés, les attaques virulentes et le débat sociétal plus vif que jamais.

 
En Belgique, un tel moment démocratique n’existe malheureusement pas. Parce que nous n’avons pas d’élections présidentielles, me direz-vous ? Je ne le pense pas car les élections générales espagnoles ou allemandes, par exemple, qui consacrent un Premier Ministre et une coalition gouvernementale, se révèlent tout aussi passionnantes. A cause de notre système proportionnel alors, qui oblige plusieurs partis, parfois opposés idéologiquement, à s’unir pour former un gouvernement ? En partie, sans doute, mais ce n’est pas l’explication principale. A vrai dire, nous avons bien un chef de gouvernement, Elio Di Rupo, et un opposant principal de poids, Bart De Wever, qui ont de surcroit des bases idéologiques franchement opposées. Mais, le problème majeur réside dans le fait qu’ils ne sont pas concurrents électoraux. Voici donc une nouvelle particularité belge unique au monde : l’électeur n’a pas la possibilité de départager, par son vote, les deux principaux rivaux politiques du pays! C’est d’autant plus regrettable que depuis qu’Elio Di Rupo est devenu Premier Ministre, il met en place une véritable offensive de charme envers le Nord du pays. Médiatiquement, le duel entre les deux hommes a donc bel et bien débuté et risque de s’avérer passionnant, Bart De Wever étant invité depuis longtemps par la presse francophone. D’un point de vue électoral, il est inexistant.

Plusieurs solutions existent ou peuvent être imaginées afin de réparer ce vice de forme de notre démocratie. Tout d’abord, on pourrait créer un nouvel arrondissement électoral allant d’Arlon à Ostende et incorporant toutes les listes électorales du pays. Ce projet de circonscription nationale est depuis longtemps dans les cartons mais se heurte à deux obstacles majeurs : il implique une révision de plusieurs articles de la Constitution et il est bloqué par un veto du CD&V. La première difficulté rend le vote sur la mesure impossible avant la prochaine législature, et la seconde explique que cette proposition ait été mise au frigo durant les dernières négociations institutionnelles. On voit donc mal comment cette idée pourrait revenir sur la table du gouvernement avant des années, pour ne pas dire des décennies.

Si regrouper toutes les listes au sein d’une même circonscription semble actuellement compromis, une autre option serait de pousser les partis les plus importants à se présenter dans toutes les circonscriptions du pays. Concrètement, le législateur pourrait décider que toutes les formations politiques réunissant plus de 10% des suffrages sur l’ensemble d’une Région soient obligées de se présenter dans les deux autres, sans devoir passer par les formalités administratives d’usage (récolte et validation de 500 signatures par circonscription). Pour les partis ayant un homologue de l’autre côté de la frontière linguistique (les socialistes, libéraux, socio-chrétiens et écologistes), la mesure ne changerait pas grand-chose mais inciterait les binômes PS/SP-A, MR/VLD, CDH/CD&V et Ecolo/Groen à présenter un programme fédéral commun en vue des scrutins nationaux. Concernant la N-VA, cette formule exigerait qu’elle présente des candidats dans toutes les provinces wallonnes ou qu’elle trouve un parti « frère » en Wallonie. Bart De Wever pourrait alors enfin venir défendre son programme dans le Sud du pays et rentrer véritablement dans l’arène politique francophone. Il ne pourrait plus tenir des propos vexatoires ou discriminant sur les Wallons car il devrait les séduire, en tant qu’électeurs potentiels. Elio Di Rupo, devrait, pour sa part, clairement s’identifier au programme socialiste fédéral et serait jugé en Flandre en fonction des résultats du SP-A. Le socialiste wallon et le nationaliste flamand tiendront, en outre, enfin, le même discours à la RTBF et à la VRT, où ils s’affronteront librement et, surtout, ils ambitionneront de convaincre des électeurs de leur adversaire direct.
Une telle révolution démocratique serait saine et salutaire pour l’ensemble de notre dynamique électorale et pour le débat d’idée en Belgique. Elle requiert également une mise en place urgente. En effet, pour la première fois depuis plus de 30 ans, nous avons un Premier Ministre francophone qui se doit d’aller défendre son action face aux médias et aux citoyens flamands. Il est donc tout à fait anormal qu’il ne puisse en récolter les fruits électoraux. Ensuite, la grave crise économique et financière que nous subissons actuellement nous impose d’avoir une vision fédérale commune afin de répondre aux épreuves considérables de ce début de 21e siècle. Se rejeter continuellement la faute entre Flamands et Francophones est un aveu de faiblesse politique qui n’est plus tenable ni acceptable. Puisse dès lors l’ensemble des partis démocratiques, en 2012, apporter à nos concitoyens cette réforme pour le prochain scrutin fédéral afin de taper du pied dans notre fourmilière institutionnelle, de revigorer notre débat public et d’arrêter la communautarisation des esprits, néfaste pour tous.